Mary Shelley, femme et écrivaine au XIXeme siècle
Peu d’écrivains ont donné naissance à un personnage si fort, si ancré dans la culture, que leur nom s’est peu à peu fondu dans celui de leur créature. A force de films, d’adaptations et de reprises, il a englouti toute une oeuvre et son autrice, au point qu’on en oublie que c’est bien une femme du XIXème siècle qui lui a donné la vie. Le nom de Frankenstein a cependant permis à celui de Shelley de perdurer dans son ombre, et de faire connaître jusqu’à aujourd’hui l’une des premières autrices reconnues de leur vivant.
Mary Shelley (1797 - 1851)
La vie n’a pourtant pas aidé Mrs Shelley. Née Wollstonecraft Godwin, elle est la fille d’un écrivain et d’une militante féministe, qui obtient que sa fille puisse porter son nom. Elle n’a pas le temps de lui donner plus : elle meurt dix jours après l’accouchement, en laissant son œuvre inachevée.
C’est le premier d’une longue suite de drame pour l’écrivaine : après de nombreuses péripéties pour être avec l’homme (marié) qu’elle aime, dont le suicide de l’épouse trompée, Percy Shelley meurt lors d’un voyage en Italie, après trois des enfants qu’il lui a donnés. Sa vie personnelle en ruine et le rejet de son père ne lui laisse qu’un fils, qu’elle adore, et son œuvre, marquée par le thème de la mort et de la paternité. Frankenstein ou le Prométhée Moderne voit le jour un an après le décès de son premier enfant : son premier roman, reconnu comme une œuvre majeure dès sa parution.
Mary Shelley n’a jamais laissé les conventions et les obstacles lui interdire quoi que ce soit, autant en amour qu’en littérature. Ses parents progressistes lui laissent en héritage des principes et deux œuvres sur lesquels veiller, en plus de celle de son mari, qu’elle gère et fait connaître après sa mort accidentelle. Véritable gestionnaire, elle refuse de dépendre de qui que ce soit, et veut élever le fils qu’il lui reste par ses propres moyens, quitte à refuser toute demande en mariage. Ce moyen, c’est l’écriture.
Frankenstein a le tort de faire paraître Mary Shelley comme la femme d’un seul roman, quand elle a écrit jusqu’à sa mort, et avec succès. Son premier roman, écrit au bord du lac Léman au cours d’un concours avec Percy, qui n’est pas encore son mari, et Lord Byron, l’un des poètes les plus importants d’Angleterre, est très bien accueilli par la critique. Pourtant, celle-ci a toujours rejeté les romans catalogués gothiques, considérés comme appartenant à une sous-culture.
Le roman gothique peut être comparé à une église du même style : sombre, effrayant, alambiqué et pesant, avec une ambiance propice aux monstres et autres vampires. Si le genre est très populaire, avec de nombreuses parutions (les célèbres Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe et la Chute de la Maison Usher d’Edgar Allan Poe), il n’est pas considéré comme “sérieux”. Il ne gagne véritablement ses lettres de noblesse qu’à la parution des critiques élogieuses à la parution du Prométhée moderne. Le fait que celui-ci tire parti des avancées technologiques et scientifiques de l’époque, dont l’utilisation de l’électricité, participe probablement à son succès, mais la critique passe à côté du message visionnaire de l’intrigue horrifique. La carrière de l'écrivaine est lancée alors qu’elle n’a que vingt-et-un ans.
Elle ne s’arrêtera plus. Entre récits de voyage, nouvelles et travaux pour poursuivre l’édition des livres de son mari, Mrs Shelley parvient à faire paraître plusieurs romans, dont deux qui poursuivent les thèmes de son premier succès : l’anticipation horrifique avec Le Dernier Homme, et le féminisme, avec Valperga. Les deux ouvrages partagent pourtant bien plus, et dépassent le genre et les intentions dans lesquels la critique enferme l’écrivaine.
Valperga, en apparence, est une romance historique, et c’est ainsi que la critique l'accueille. Elle passe à côté du message politique et démocratique, en se focalisant sur le récit de l’histoire d’amour contrariée entre Euthanasia, qui gouverne la forteresse de Valperga, et le tyran Castruccio Castracani, qui l’assiège. Il lui demande de choisir entre ses sentiments et sa liberté : la dame de Valperga choisit de mourir libre, dans un état gouverné avec raison et sagesse. Le même intérêt pour la liberté et la démocratie se retrouve dans Le Dernier Homme, où la monarchie anglaise est déposée au profit d’une république. L’autrice révèle dans ses deux ouvrages bien plus que son statut d’écrivaine d’horreur lui accorde : Mary Shelley, alors que la plupart des autrices de l’époque sont reléguées à des genres et des thèmes légers, donne une vision politique et des intrigues fortes de réflexions philosophiques.
Ses contemporains, s’ils ne mettent pas exactement le doigt sur le génie de Shelley, lui reconnaissent le statut de visionnaire et un succès critique, même si l’écrivaine souffrira de ne pas être pleinement comprise. Cette connaissance partielle de ses romans continue aujourd’hui : s’il existe de nombreuses éditions de Frankenstein, Le Dernier Homme, Valperga et ses autres œuvres restent dans l’ombre. Mary Shelley, si elle a pu atteindre une notoriété rare pour les femmes de son époque, est encore aujourd’hui loin d’être reconnue à sa juste valeur.