La fable, littérature engagée

Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.

La Cour du Lion

Si le nom Ours était plus courant et si le titre ne figurait pas en bonne place sur les recueils de fables de La Fontaine, nous pourrions croire à une description très olfactive du Louvre par un opposant politique. Aucune critique du roi de cette sorte n’aurait normalement passé la censure royale, mais il s’agit de simples animaux, et pas du Louvre que nous connaissons tous. Il s’agit en effet de “son” Louvre, l’antre d’un simple lion (qui se trouve par hasard être le roi des animaux). Par une simple analyse de texte, celui-ci passe entre les mailles du filet, sans avoir eu besoin d’un rat pour l’en dépêtrer.

Les arguments de Jean de la Fontaine sont tout trouvés pour éviter l’interdiction de ses textes : il lui a suffit de mettre ses personnages dans la peau d’animaux. Ces lions, ours et singes anthropomorphisés (réfléchissant, parlant et agissant comme nous, ou presque) font un parfait bouclier contre leur modèle humain, permettant à l’écrivain de faire entendre une voix qui aurait été bien vite étouffée sans cette astuce.

Cette petite subtilité littéraire est connue depuis l’antiquité grâce aux fables d’Esope, l’un des modèles de notre fabuliste français. Ce qui est extrêmement difficile à dire et à faire prendre conscience devient drôle et juste une fois mis en scène avec des personnages animaliers auxquels on peut s’identifier, tout en soulignant les défauts et les situations par une caricature. Personnifier un animal, c’est en faire un symbole. Bien pratique pour crypter un texte, et pour faire passer des textes engagés pour des histoires bonnes à faire apprendre par cœur aux élèves.

Tous des animaux

Tellement pratique que les auteurs n’ont pas laissé la recette se perdre, particulièrement quand il s’agissait de caricaturer le pouvoir, tout en produisant une œuvre lisible par le grand public. George Orwell, avec sa Ferme des Animaux, parvient ainsi à dénoncer le régime communiste en parlant de… cochons.

Paru en 1945 sous le titre Animal Farm - A Fairy Story, ce court texte nous raconte les déboires d’animaux s’étant rebellés contre leurs humains, ou plutôt leurs Bipèdes. Chèvres, chiens et cochons fondent alors leur République, avec ses commandements et un principe : l’égalité entre tous, loin de l’esclavage auquel ils étaient réduits sous l’ancien régime. Rapidement pourtant, certains animaux se révèlent “plus égaux” que d’autres, et la belle utopie se transforme en camp de travail. Nous sommes loin du conte de fée promis par le titre. Ce n’est qu’une façade pour mieux souligner le propos politique de l’auteur. Les cochons reproduisent ainsi fidèlement les luttes de pouvoir qui ont agité le parti communiste d’URSS, le cochon Napoléon évinçant Boule de Neige comme Staline exile Trotski. La Ferme se retrouve finalement gouvernée par des cochons marchant sur leurs deux pattes arrière, habillés en bourgeois, et la vie des autres animaux n’en est que plus dure.

Publié en Angleterre, hors de la censure russe, George Orwell aurait pu transporter son intrigue dans n’importe quel contexte, mais le fait d’utiliser l’anthropomorphisation lui permet d’universaliser le fond de son texte. Bien sûr, la référence à la politique russe est claire, mais le livre sert également à démontrer comment une révolution, fondée sur des principes clairs et sains, dégénère en dictature, et ce, peu importe les “personnes” qui en sont à l’origine. Les animaux n’ont ainsi ni origine, ni couleur de peau, ni temporalité particulière : n’importe qui peut être à la place des victimes de Napoléon, et pas seulement les Russes. Il s’agit alors moins de déguiser son propos que de le rendre universel.

Il ne l’était pas encore assez aux yeux de Xavier Dorison et Félix Delep, qui ont trouvé utile d’actualiser un peu l’intrigue d’Orwell dans leur bande-dessinée. La Ferme devient le Château des Animaux, et plutôt que de s’attaquer au communisme du cochon Napoléon, l'œuvre vise le taureau Silvio, président fasciste qui aurait supplanté le dictateur porcin. Les animaux, encore une fois déçus et exploités par le changement de régime, choisissent alors de se battre avec de nouvelles armes : la désobéissance pacifique et le rire, plutôt que par la violence et la passivité. Le dessin, par sa beauté et son réalisme, vient servir le récit, et permet au grand public moderne de redécouvrir un classique qui n’a jamais été autant d’actualité.

Animaux en guerre

Le dessin et le message véhiculé par des animaux n’ont pas forcément vocation à être cachés. Ils peuvent servir d’arme, y compris chez les plus jeunes. C’est le cas dans la bande-dessinée MAUS, où le régime nazi se dépeint sous les traits de chats et de souris. Loin d’adoucir les périodes et les régimes, cette métaphore souligne encore la prédation et la peur. Ces situations de guerre mondiale où l’humanité n’en était plus vraiment une restent le principal vivier de ces messages cachés sous un peu de fourrure.

Les animaux anthropomorphisés restent particulièrement courants dans un tout autre registre que la critique politique ou la chronique historique : les histoires pour enfants, ou littérature jeunesse. Les histoires centrées autour d’animaux sont en effet l’apanage des textes et des dessins destinés aux plus jeunes. Des propos pourtant bien adultes sont parfois cachés au point d’atteindre ces livres destinés aux enfants, jusque dans les cartoons, ces dessins à priori innocents qui deviennent de véritables armes idéologiques pour les Etats-Unis, qui est leur berceau et leur principal émetteur. L’ennemi du moment est ainsi représenté sous les traits d’un loup ou d’un ours, animal que l’on apprend dès le plus jeune âge à craindre. La fable est alors autant un bouclier contre l’ennemi qu’une arme de propagande, pouvant atteindre toutes les couches de la société (y compris celle qui en porte encore).

Les animaux anthropomorphes ont donc été utilisés dès l’Antiquité pour dénoncer, critiquer et moquer les pouvoirs, sous couvert de parodie et de caricature. Ce procédé a encore cours aujourd’hui, souvent comme référence aux grands maîtres de ces fables militantes, ou pour faire passer un message de façon plus ou moins subtile et lisible par un large public. Quitte à ce que la politique russe se retrouve dans la boue d’une basse-cour… Le fait de transposer des situations chez des animaux, donnant un aspect merveilleux à l'œuvre, rend l’anthropomorphisation extrêmement propice à des procédés visuels, comme la bande-dessinée, dont sont tirés beaucoup des exemples de cet article, ou à la littérature jeunesse. En voici encore quelques-uns.

●      Watership Down, Richard George Adams

●      Le livre de la Jungle, Rudyard Kipling

●      Le roman de Renart

●      Le conte de Pierre Lapin de Beatrix Potter

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