Les fondements de la littérature romantique
À l’origine, le mot romantisme renvoie au substantif roman, qui est synonyme de « langue vulgaire », par opposition à la « langue noble », le latin. Ce terme tombe ensuite dans l’oubli jusqu’en 1801 où l’auteur allemand Friedrich von Schlegel l’utilise à nouveau pour désigner tout ce qui est en opposition au classicisme et à l’Antiquité gréco-romaine, portant un souffle de modernité dans les domaines artistiques et dans la politique. Le but est la libération des dogmes figés provenant du classicisme et de l'excès de rationalité de l’époque des Lumières, pour privilégier la nature, l’amour, l’expression de soi et la dimension onirique, ce qui n’est pas sans un certain engagement politique.
Même si la patrie natale du romantisme est sans doute l’Allemagne, en France, ce courant prend sa place dans la littérature avec le roman pionnier René par François René de Chateaubriand où il décrit pour la première fois le concept du “Mal du siècle” – affectant les jeunes français(e)s à la chute de l’Empire – suivi par d’autres grands collègues comme Lamartine, Hugo et Musset.
Mais voyons ensemble quels sont les fondements du mouvement.
La nature
La pensée romantique renverse l’idée newtonienne de la nature qui la voyait comme une machine rationnelle à étudier avec des règles scientifiques et la place plutôt sous une vision « organique » : la nature est considérée par les romantiques comme un organisme vivant doté de sa propre force mystérieuse, presque magique, difficile à quantifier. La nature devient une force régénératrice et mystérieuse, parfois identifiée comme l'absolu (Dieu) avec lequel l’homme doit se fondre de manière harmonieuse et respectueuse.
Mais pour la plupart des romantiques, le spectacle de la nature ramène d'abord à l'homme lui-même : l'automne et les soleils couchants deviennent dès lors des images du déclin de nos vies, alors que le vent qui gémit et le roseau qui soupire symbolisent les émotions du poète lui-même.
La nature, enfin, est un lieu de repos, de recueillement ; en s'y arrêtant, on oublie la société, les tracas de la vie mondaine. Les romantiques contribuent aussi à de nouvelles formes de tourisme : aux xviieet xviiie siècles, voilà la mode du grand tour de l’Europe pour les artistes, les lettrés et les jeunes aristocrates, afin de se former au contact des ruines antiques et des paysages embrumés.
« Un immense besoin d'étonnement, voilà toute l'enfance, et c'est en songeant à cela que j'applaudis, nature, aux géants que tu formes », L'Art d'être grand-père, Victor Hugo.
L’Amour
Si l’amour était par le passé la recherche de l’équilibre, l’harmonie et la beauté des formes, il devient chez les romantiques une passion incontrôlable, réelle et pure ; on nie le mariage comme nid d’amour et on le confine à son unique rôle de contrat entre deux familles. C’est un amour mêlé à la violence des sentiments et des actes, à tel point que l’union charnelle des deux amoureux ressemble plus à un viol qu’autre chose. C’est un amour qui connaît les jalousies et les souffrances, il s’agit de la seule fatalité invincible : il ne fait qu'un avec l'élan vital dans le bonheur, mais se métamorphose, dans le malheur, en passion désespérée, avec son lot de crimes abominables, de meurtres, de trahisons, de suicides, de destruction de la personne aimée.
« Elle était si belle, à demi vêtue et dans un état d'extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne fut opposée »,La Chartreuse de Parme, Stendhal.
L’exaltation du soi-même et le « mal du siècle »
Dans le monde des romantiques, le plus important c’est d’exprimer ce qu’on ressent, d’utiliser la dimension intérieure et intime comme source d’inspiration. De ces nouveaux concepts naît le lyrisme où l’écrivain parle de ses propres sentiments, en poésie et en prose, en partant de l’intime et en se détachant complètement de son entourage (soit d’autres humains) pour n’être influencé que par la nature.
Les personnages des romantiques sont un épanchement de sentiments mêlés et controverses, pour la plupart tristes, liés à leur histoire et à leur subjectivité, mais puisqu'ils habitent tous dans une société mondaine, économique, dans lequel ils ne se retrouvent pas, ils souffrent tous de ce qu’Alfred de Musset a popularisé comme le « Mal du siècle ». Il s’agit d’une condition de malaise groupale apportée par le matérialisme bourgeois et le progrès scientifique des Lumières, au détriment de la dimension spirituelle, et qui pourrait pousser jusqu’au suicide ou à la démence.
« L'hypocrisie est morte ; on ne croit plus aux prêtres. Mais la vertu se meurt, on ne croit plus à Dieu », Rolla, De Musset.
La dimension onirique
Le rêve est une caractéristique essentielle chez les romantiques puisqu'il est étroitement lié au concept d’imagination et de spontanéité des sentiments qui permettent de recréer le monde, avec la fantaisie.
Le rêve peut amener l’artiste dans un état de méditation et de contemplation face au miracle de la nature, même s’il s’agit pour la plupart de rêves tristes, sombres et mélancoliques, devant le mystère de la vie. Cette notion du « Stimmung » (littéralement « disposition de l'âme ») est très proche du concept de voyage et d’exil d’où naît la poésie proprement dite, selon Hugo.
L’artiste se laisse prendre par son délire d’inspiration. Vie réelle et vie imaginaire se mêlent dans les œuvres romantiques de manière souvent indissociable.
« Il eût été capable, sans cette tendance funeste, d'être le plus grand des poètes ; il ne fut que le plus singulier des fous », Onuphrius, Théophile Gautier.
La dimension politique et sociale
Dans le domaine politique, il y a place pour des attitudes et des positions aussi opposées que l'engagement politique et l'inhibition, le libéralisme et le conservatisme, les efforts de restauration et les aspirations révolutionnaires, le tout encadré dans un temps de ruptures et de changements incessants qui ont vu naître, en un siècle seulement, deux empires, deux monarchies et deux républiques.
Il s’agit de la révolte tout court contre la société moderne et le temps présent, afin de favoriser le concept de liberté : même si conservateurs, les romantiques aiment lutter contre la censure et participent à la victoire des Trois Glorieuses contre le régime de Charles X. De plus, ils exploitent les grandes injustices politiques et sociales comme thématiques principales à traiter dans leurs œuvres artistiques et placent la figure de l’artiste au centre du devoir de dénoncer : le seul privilège de l'artiste est de posséder un moyen d'expression, qu'il doit mettre au service du peuple.
« Jeunes gens, ayons bon courage ! Si dur qu'on veuille nous faire le présent, l'avenir sera beau », Hernani, Victor Hugo.
Pour conclure
Il n'est pas possible de définir le romantisme dans un sens univoque puisqu'il s'agit d'un phénomène complexe qui prend des connotations différentes selon les nations dans lesquelles il se développe. Dans le mouvement romantique, il n'y a pas de référence précise à un système fermé aux idées qui puisse le définir pleinement, mais plutôt à une « manière de ressentir » à laquelle les artistes de l'époque adaptaient leur manière de s'exprimer artistiquement, de penser et de vivre.
C’est justement cette fragmentation au sein du mouvement même qui mènera à son aboutissement vers les années 1850 : étant composé de plusieurs éléments, différents jusqu'à l'hostilité, lesquels agglutinés, mais non fondus ensemble, devaient amener chacun à s'isoler, à se détacher de la masse. Vers la moitié du xixe siècle, Lamartine est condamné à donner pour vivre de la « copie » aux éditeurs, Musset ne produit plus et Vigny n'a pas publié de vers depuis son premier recueil. La modernité s’est définitivement imposée et seul Victor Hugo, sans adversaire et exilé, prolonge d'un quart de siècle le romantisme.
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Article publié le 02/12/2021