Lovecraft : Folle inspiration
Howard Phillips Lovecraft est né le 20 août 1890 à Providence aux Etats-Unis, et mort le 15 mars 1937 dans la même ville, d’atroces souffrances et un anonymat quasi complet. Sur sa tombe, hormis le nom et les dates réglementaires, trois mots : « Je suis Providence ». Même dans la mort, l’écrivain aujourd’hui plus connu sous les initiales H. P. Lovecraft cultive le mystère, dans la lignée directe de son œuvre résumée sous le titre des Mythes de Cthulhu. Composés d’une galaxie de nouvelles et de romans, ces mythes sont peuplés de personnages oscillants entre folie et terreur, et des créatures toutes droits sorties d’un cauchemar fiévreux. A moins qu’elles ne soient l’émanation de la vie toute aussi angoissante de l’écrivain qui leur a donné naissance.
Influencé par Edgar Allan Poe (le célèbre et ténébreux auteur de nombreuses nouvelles), Lovecraft aura pourtant tout fait pour échapper au destin de celui-ci, sans y parvenir : réussir en tant qu’écrivain. Contraint par des difficultés financières et certainement mû par un penchant naturel à la misanthropie (il n’a eu de contacts, de 18 à 23 ans, qu’avec sa mère), il doit se séparer de son épouse et vivre seul à New York. La ville, cosmopolite grâce à une forte immigration et en perpétuelle ébullition (comme elle n’a jamais cessé de l’être depuis) s’avère être un cauchemar pour cet homme angoissé par l’inconnu et les cultures étrangères. Encore pour des raisons économiques, il retourne dans sa ville d’origine et s’installe seul.
C’est sa période la plus prospère. L’écrivain écrira certaines de ses plus grandes
nouvelles (dont Les Montagnes Hallucinées) dans sa maison de Providence. Il y est d’autant plus seul que beaucoup des membres de sa famille sont décédés, dont sa mère et son grand-père, qu’il adorait. Pas étonnant alors que l’angoisse de mort, la solitude et l’assurance absolue d’être le seul au monde à se comprendre lui-même deviennent les sujets centraux de son œuvre. Les rumeurs faisant état d’un mental fragilisé voire rendu malade par la xénophobie participent également à faire de Lovecraft une figure d’écrivain maudit et torturé.
La thématique de la folie participera à le faire connaître après sa mort, notamment
grâce au travail de son ami et héritier littéraire August Derleth, co-fondateur de l’Arkham House qui publiera de façon posthume la plupart des travaux de Lovecraft. Autour de cette maison se mettent à graviter toute une batterie d’écrivains avides de cet imaginaire sombre et mystérieux, très propice à l’écriture de nouvelles histoires par l’obscurité savamment entretenue par l’auteur lui-même. Ils enrichissent cette véritable cosmogonie, inscrivant des cités perdues sous les eaux ou la jungle et des dieux plus anciens que le monde dans la continuité de leur prédécesseur, jusqu’à ce que leur nom soit inextricablement associé à celui-ci, comme le fameux Robert E. Howard.
L’influence de Lovecraft ne se limite pas à des adeptes contemporains ou à une
œuvre unique, mais s’étend aux plus grandes figures de l’horreur et de l’imaginaire moderne, dont Clive Barker (auteur de l’épineux Hellraiser), Neil Gaiman (American Gods) ou un certain Stephen King qui lui ont reconnu une influence, ou ont fait référence à l’étrange créature au visage de pieuvre.
Cthulhu et autres Azathoth sont ainsi entrés par la petite porte dans le panthéon de
la pop culture. Après avoir été influencé par ses angoisses, Lovecraft en inspire jusqu’à aujourd’hui, que ce soit dans les adaptations de son œuvre ou des références directes à celle-ci. Citons entre autres L’appel de Cthulhu, jeu de rôle où vous pouvez aussi bien mourir des griffes d’une créature issue de vos pires cauchemars que perdre de précieux points de santé mentale en tentant de leur échapper. D’autres univers se sont aussi nourris de son imaginaire, comme la licence DC Comics, qui interne ses personnages les plus dérangés dans l’hôpital psychiatrique d’Arkham, ville tirée de sa nouvelle Le Monstre sur le seuil.
Cette œuvre continue donc à être alimentée, enrichie, que ce soit à l’écran, à travers
de nouveaux livres ou par le biais de nouveaux artistes. Lovecraft représente désormais l’horreur sous toutes ses formes, de préférence cachées dans les brumes du temps ou à la lisière de la folie, d’autant plus qu’il joue sur toutes les peurs humaines. A chacun de retrouver la sienne dans les pages du Cauchemar d’Innsmouth ou celles de L’Abomination de Dunwich…
Eva Dodero - Article publié le 03/11/2021